Alain A.Minet

Du rêve à la réalité

Depuis longtemps déjà, je rêvais de créer un personnage assez exceptionnel, ayant reçu de la nature des dons pour le moins inhabituels. Mais ce que je ne voulais pas, c’était qu’il naisse comme ça.
C’était avant ce siècle, vers 1990, à l’époque où je commençais à peindre un style nouveau : les Aquatic. Cette nouvelle façon pour moi de voir autre chose que le figuratif était venue d’une série de quatre toiles, ébauchées dans les jardins du petit Trianon de Marie-Antoinette, à Versailles. Cette série, décrivant divers aspects du jardin, m’avait comblé. La dernière représentait un plan d’eau. À quelques mètres de la berge se trouvait le petit moulin, à la droite duquel on voyait un très bel arbre dont la disparition a depuis été causée par la mémorable tempête de 1999.
Ce fut pour moi une sorte de révélation (le plan d’eau, pas la tempête). Je supprimai d’un seul coup toute forme de matérialisation pour ne laisser paraître que ces plans d’eau calmes, évanescents, transparents, sur lesquels la nature environnante se réfléchissait. Les nouvelles toiles de cette série, que je nommai Aquatic, furent nombreuses, très nombreuses. Monochromes, bariolées, colorées, avec par-ci par-là quelques nénuphars.
C’est très bien, me direz-vous, mais quel rapport avec Mathis et son extraordinaire don? Ce rapport, il est simple et compliqué à la fois, un peu comme moi, en définitive (rires).
Je voyais au travers de mes toiles, et je tentais d’exprimer ce que je ressentais profondément : à la surface de l’eau, tout est beau, reflétant le réel, le ciel, les arbres, les fleurs, toute la nature en quelque sorte. Mais avez-vous déjà fait ricocher une pierre à la surface de l’eau ? Ce petit caillou plat qui, lancé d’une main experte, va ricocher trois, quatre, cinq fois, et parfois plus, effleurant la surface de l’eau pour y laisser une trace de son passage qui persistera plusieurs secondes alors que l’objet l’ayant provoqué est déjà loin et englouti par cette masse d’eau immobile.
C’est là que je me suis posé la question et ai reçu une réponse, évidente : que ce que l’on apercevait n’était en fait qu’une infime partie d’un tout ; que ce que je voyais n’était rien en comparaison de ce qui existait en-dessous ; que les rides laissées à la surface de l’eau étaient des interventions extérieures qui influençaient cette même surface, de la même façon que nos actions influencent ce qui nous entoure. Comme la matière constituée d’atomes et d’espace, tout n’est qu’apparence. Je me suis revu en 1960, lors d’une étude scolaire, à répondre à la question d’un surveillant, alors que je dessinais le ciel, le soleil et les planètes, à la manière du petit prince que j’avais découvert et dont la lecture m’avait passionné :
— Tu dessines des planètes avec des bonshommes dessus. Tu crois qu’ils peuvent vivre là-bas, sans air, sans oxygène ?
— Rien ne nous dit qu’il n’y a pas de planètes avec de l’air, monsieur, et rien ne nous dit non plus que ces hommes sont comme nous. Ils peuvent avoir une autre façon de vivre et de respirer que nous. Peut-être que nous, sur leur planète, nous serions obligés de mettre un scaphandre.
Je me souviens encore de son regard étonné, un regard bleu clair, comme celui de Mathis, de ses cheveux frisés châtains, de son visage carré. Il m’a dit de me rasseoir (à l’époque pour parler à un pion, la politesse exigeait que l’on se lève, c’était dans les mœurs, comme n’importe quel homme ôtait son chapeau pour parler à son curé, par respect). Il a continué son travail, penché sur le bureau, a relevé deux fois la tête vers moi. À la fin de l’étude, il est parti rejoindre sa classe de première. Je ne l’ai jamais revu, mais je n’ai jamais oublié cet instant.
Mais alors, Mathis, me direz-vous encore. Mathis existe depuis bien avant ces moments mais je l’ignorais encore. Je l’ai découvert tapi dans mes toiles, près de moi, avec moi. Ce petit quelque chose d’extraordinaire, et pourtant simple comme de l’eau qui coule, que l’on ne peut attraper, et qui s’enfuit entre nos doigts. Nous avons tous un petit Mathis caché, que nos occupations quotidiennes relèguent dans un coin, au fin fond de notre mémoire.
Pour que ce petit bonhomme existe, j’ai construit une histoire qui m’a pris du temps, aidé par une amie, Cendrine (qui m’a baptisé et me nomme Peter Pan ou l’enfant terrible). Cette histoire, je continue de l’échafauder au fil des personnages de mes romans qui s’étoffent. Certains d’entre eux s’échappent du rôle que je leur avais fixé pour vivre leur vie et devenir ainsi des personnages récurrents de la saga, comme Sonia, initialement prévue comme personnage secondaire.
Inconsciemment, Mathis est né dans les années 1995, comme un bébé sort du ventre de sa mère. C’est à la suite d’un bête accident qui m’a immobilisé pendant trois mois (une rupture du tendon d’Achille) en 2001 que les premières phrases du roman Le souffle de l’ange ont pris corps. C’est en 2021 que le premier récit de Mathis voit le jour. Il aura fallu vingt années pour que je commence à écrire ce que mon esprit conservait au fond de moi : un mélange de réalité, d’imaginaire, de vécu, d’espérance, d’amour, de crainte, d’angoisse aussi parfois.
Par ce premier récit de Mathis, je vous livre une infime partie de ce que je suis : un être humain tout simplement, qui espère avoir trouvé l’une des réponses aux questions fondamentales de sa présence dans l’univers : évoluer.

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